Les fibres optiques du réseau électrique français
C’est en 1985, qu’EDF équipe à titre d’expérimentation sur le réseau, les 18 km de la nouvelle ligne à 225kV Cernay-Vesle d’un câble de garde dans lequel sont incorporées des fibres optiques. En 1987, la ligne 400 kV Aramon Tavel, en vallée du Rhône, est équipée d’un câble avec la technologie des fibres monomodes à affaiblissement réduit.
Ces expérimentations résultent des réflexions objet des publications internationales apparues déjà en 1980 à la CIGRE, relatives aux possibilités offertes par les fibres optiques comme supports de transmission particulièrement prometteurs pour satisfaire aux besoins croissants de l’exploitation des réseaux électriques.Une première note de doctrine relative à l’équipement des lignes électriques en fibres optiques est édictée le 8 décembre 1986 [1].
Les tentatives avortées de développement d’un réseau fibres optiques EDF
Au cours des années 90, EDF construit à 2 reprises des orientations et monte des projets d’investissement pour réaliser un réseau de fibres optiques spécifique appuyé sur le réseau électrique.
Le premier dossier, en 1993, est limité au périmètre des régions Rhône Alpes et Ile de France. Il consiste à poser 1000 kilomètres de câbles de huit fibres optiques. L’objectif est de couvrir l’ensemble des besoins de transmission internes. Ce dossier est écarté par les pouvoirs publics qui restent alors attachés au principe de spécificité et, de fait, à la complémentarité des entreprises nationales EDF et France Télécom.
Le second dossier, en 1997, a pour ambition de couvrir l’ensemble du territoire. L’objectif est d’aller au-delà des besoins internes et introduit des services ouverts à d’autres besoins que ceux internes à EDF. Deux options sont proposées : un réseau « grandes métropoles » de 6000 kilomètres s’appuyant sur les lignes 400 kV, ou un réseau capillaire national de 12 000 kilomètres s’appuyant sur les lignes 400 kV et 225 kV. Ce dossier se trouve bloqué, par les enjeux liés à l’ouverture du capital de France Télécom, puis par les travaux sur l’ouverture du marché de l’électricité.
Cette période a néanmoins été mise à profit pour faire évoluer la politique d’EDF en matière de construction des liaisons électriques du réseau de transport d’électricité. Ainsi, il est décidé en 1996, de prévoir l’équipement de toutes les liaisons neuves avec des câbles à fibres optiques incorporées [2]. Renvoi vers article A
Cette directive demande également « d’examiner l’opportunité de mise en place de moyens de télécommunications à fibres optiques » lorsque l’ouvrage doit faire l’objet d’une rénovation ou lorsqu’il existe des besoins non satisfaits de sécurisation des systèmes de téléconduite, de sûreté du réseau électrique, ou de téléprotection. Renvoi vers article C
Le CIADT : une opportunité pour financer le réseau optique ?
En 2001, la conférence interministérielle pour l’aménagement du territoire (CIADT) affirme la volonté des pouvoirs publics français de réduire la fracture numérique. Un an plus tard, le Gouvernement autorise le recours au réseau de transport d’électricité de RTE pour le développement du haut débit [3] . Il décide, en outre, d’assouplir la législation pour autoriser les collectivités locales (régions, départements, communes) à exercer une activité d’opérateurs de réseaux afin de généraliser l’accès au haut débit dans toute la France à échéance de 2007.
Pour favoriser cette perspective, tout en respectant ses obligations d’opérateur en monopole du réseau de transport d’électricité, RTE créé sa filiale ARTERIA pour utiliser, ces nouvelles possibilités de déploiement de fibres optiques co-financées par les collectivités locales.
En 2003, un premier bilan de la mise en œuvre de cette nouvelle stratégie est tiré. Il est assez mitigé : de nombreuses études ont été réalisées mais elles ne débouchent que sur un tout petit nombre de réalisations [4]. Trois raisons principales sont avancées :
- l’offre de RTE aux collectivités n’est pas « clefs en main », elle porte uniquement sur des liaisons entre postes RTE et les raccordements aux extrémités doivent faire l’objet de chantiers complémentaires,
- les collectivités souhaitent privilégier les investissements patrimoniaux, or dans le montage proposé RTE reste seul propriétaire (l’ensemble des câbles ne peut pas être dissocié de l’ouvrage électrique)
- la Commission de Régulation de l’Electricité, chargée de l’approbation des investissements de RTE, veille scrupuleusement à ce que « ces opérations n’engendrent ni surcoût ni risque pour l’activité du gestionnaire de réseau ». Aussi, en pratique, seuls les projets qui sont utiles à la modernisation du réseau de sécurité compte tenu de ses besoins propres sont éligibles.
La reprise des études d’un réseau optique de sécurité autofinancé
En 2003, RTE ressent que sa dépendance de l’opérateur de télécommunication historique France télécom constitue un risque majeur pour la sûreté du réseau électrique. Les systèmes de protection des lignes 400 kV sont en effet dépendants du bon fonctionnement du réseau de faisceaux hertziens et des liaisons louées à cet opérateur. Plusieurs plans d’actions sont mis en œuvre à la fin des années 90 et au début des années 2000 pour obtenir les niveaux de services contractualisés sur ces supports.
Face à la faiblesse du déploiement issu de la stratégie CIADT, RTE se propose dans son programme d’investissement 2004 de déployer un réseau optique de 4 300 km sur fonds propres. Ce réseau doit permettre de disposer d’un moyen de communication sous la réelle maîtrise de RTE pour tous les postes 400 kV équipés de protections différentielles de lignes. Ce projet ne remet toutefois pas en cause l’utilisation du réseau de faisceaux hertziens opéré par France télécom. La Commission de Régulation de l’Electricité ne conteste pas directement l’intérêt de cette évolution technologique, mais elle demande de justifier la rentabilité attendue de l’opération.
L’incident du 6 mars 2004 en Vallée du Rhône
Le samedi 6 mars 2004, l’apparition d’un défaut monophasé sur la ligne 400kV TAVEL TAMAREAU provoque le déclenchement intempestif de 4 autres lignes 400 kV issues du poste de TAVEL. L’analyse montre que ces déclenchements intempestifs sont dus à un schéma de transmission provisoire inadéquat mis en place par France Télécom et pour lequel l’obligation contractuelle d’information de RTE n’a pas été respectée. L’allongement des temps de transmission a impacté directement le fonctionnement des protections différentielles présentes sur ces lignes 400 kV. L’incident est classé à un niveau de gravité élevé, car à une période de plus forte charge du réseau il aurait provoqué des pertes de stabilité de groupes de production et il aurait vraisemblablement engendré un incident de grande ampleur.
Cet incident conforte les responsables de RTE sur le fait que ses besoins en moyens de télécommunications pour garantir la sûreté d’exploitation du réseau de transport sont de plus en plus spécifiques par rapport aux besoins courants des clients des opérateurs de télécommunications.
La justification du projet ROSE-FO (Réseau Optique de Sécurité)
Aussi, en 2004, RTE étend son projet de déploiement de fibres optiques en prenant comme objectif la desserte de l’ensemble des sites sensibles pour l’exploitation du système électrique (postes 400 kV, dispatchings, groupements de postes, et grands clients-consommateurs contribuant aux services système. L’objectif est de faire en sorte que chacun de ces sites dispose d’une double adduction optique. Ceci conduit à une architecture de 9 100 kilomètres de câbles optiques qui doit permettre de s’affranchir des faisceaux hertziens et d’un nombre significatif de liaisons louées à échéance de 2012.
La présentation à la CRE de cet investissement s’annonce, de prime abord, délicate compte tenu de l’absence dans les publications internationales de méthode générale de valorisation de la sûreté d’exploitation des réseaux électriques. Face à ce challenge, RTE présente une approche de valorisation spécifique aux incidents de réseaux électriques provoqués ou aggravés par les défaillances de télécommunications et base son raisonnement sur les incidents effectivement observés sur le réseau de transport français en 2004.
Le déploiement des fibres optiques
L’infrastructure de câbles optiques ainsi décidée, est réalisée entre 2004 et 2011, constituant, in fine, à fin 2014 un réseau d’environ 22000km de câbles, [5]. Renvoi vers article B
Le choix du mode d’exploitation du réseau
En mai 2007, le Directoire de RTE, retient les principes de l’équipement de fibres optiques en cours de déploiement, constituant le Réseau de services ROSE-TCM, et son exploitation
- Les liaisons optiques entre les 2 extrémités des protections différentielles de ligne 400 kV sont soudées en point à point sans équipement intermédiaire, et ne sont pas supervisées – ces dispositions visent à garantir le meilleur niveau de fiabilité et la meilleure protection vis-à-vis des modes communs,
- Un réseau basé sur la norme SDH (Synchronous Digital Hierarchy) est créé sur une paire de fibres parcourant l’ensemble des boucles de l’infrastructure pour supporter les flux de téléconduite de niveau haut, la téléphonie de sécurité, les voies 2 des téléprotections 400 kV et 225 kV proche,
- L’administration et la supervision de ce réseau sont réalisées en interne à RTE, depuis un site unique centralisé le CASTEN (Centre d’Administration et de Supervision TElecom National),
- La maintenance 1 à 3 des équipements de terrain du réseau est assurée par les équipes de proximité RTE,
Etat des lieux à fin 2014
A l’issue du projet de constitution du réseau de fibres optiques de RTE, en 2012, le réseau s’étend naturellement du fait de la construction de nouveaux ouvrages haute tension ou de travaux de réhabilitation importants induisant la pose de câble optique. RTE dispose ainsi à fin 2014 d’une infrastructure optique d’environ 22000 km de câbles desservant plus du tiers de ses installations industrielles.
Complémentairement à ROSE-TCM, RTE a retenu un nouveau projet de réseau de service sur son infrastructure optique, le projet “INfrastructure Unifiée d’Intégration des Télécommunications” (INUIT) qui consiste à équiper les fibres optiques disponibles et réservées à cet effet et à utiliser des services opérés là où l’infrastructure optique n’existe pas. Ce réseau accueillera tous les autres flux de télécommunications de RTE : les télécommunications “tertiaires”, mais aussi les téléprotections des réseaux 225 kV “éloigné” et HT, la téléconduite de niveau bas, les flux industriels de télérelève, ainsi que les flux de télémaintenance et de vidéo.