Le projet "Informations Codées"
Après un bref rappel sur la situation de transmission des télémesures au moment du lancement du projet, le présent article retrace les différentes étapes du projet depuis l’élaboration des spécifications, jusqu’à sa fin.
Les premières télémesures et leur transmission
Au fur et à mesure des interconnexions entre les réseaux des sociétés locales, les centres de coordination se sont séparés des centrales de production où ils étaient généralement hébergés. Des moyens de transmission des informations à distance ont alors été déployés. Tout naturellement, les premières télémesures ont été des déports à distance d’appareils à aiguille ou d’enregistreurs sur papier. L’opérateur avait donc à disposition pour chaque mesure une valeur qui était l’image analogique de la grandeur surveillée et une mise à jour en continu de la valeur surveillée.
Quoi de plus naturel, dans ce cas, que la transmission des dites valeurs ait été analogique, et qu’elle le soit restée, au moins dans le principe, pendant un certain temps :
Le principe général a été d’utiliser une grandeur intermédiaire proportionnelle à la mesure à la grandeur à transmettre. Les premières grandeurs intermédiaires utilisées ont été le plus souvent des courants continus, mais la transmission directe d’une mesure sous la forme d’un courant continu proportionnel présentait les inconvénients suivants :
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liaison limitée à une distance relativement courte,
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nécessité d’un équipement individuel et d’une voie de transmission (2 fils)
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sensibilité aux perturbations.
L’accroissement des distances, les coûts importants des liaisons (et, une certaine pénurie des lignes de transmission) ont amené à des évolutions technologiques. Une conversion supplémentaire a été ajoutée. Elle était réalisée par un dispositif dans lequel le courant analogue sert à moduler une fréquence musicale (sous-porteuse).
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Chaque sous-porteuse correspond à un canal de télégraphie harmonique (120 hertz). Plusieurs termes de mesures peuvent alors être superposés sur une même voie de transmission, en utilisant des sous-porteuses distinctes – soit 12 à 18 télémesures seules, soit 6 télémesures en plus de la communication téléphonique.
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A l’arrivée, le récepteur opère la sélection des signaux de fréquences différentes et fournit des courants analogues proportionnels aux grandeurs primaires.
Si ces systèmes avaient l’avantage de fournir des télémesures permanentes, ils présentaient toutefois les inconvénients suivants :
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dans la plupart des cas, la nécessité d’un équipement individuel et un encombrement important de la bande de fréquence (120 hertz pour un terme de mesure),
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superposition des erreurs propres,
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décalage possible du zéro,
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impossibilité d’effectuer un contrôle de validité de la mesure transmise.
Des améliorations et évolutions ont ensuite été apportées. Néanmoins, les équipements n’ont pas réussi à surmonter les inconvénients majeurs inhérents à ces technologies : rendement faible, possibilités d’erreurs et absence d’un contrôle de validité des informations reçues.
L’expression des besoins d’un nouveau système.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’envol de la consommation, le développement corrélatif du réseau ainsi que les nouvelles possibilités techniques (numérisation et codage) amènent à réviser complètement la conception des dispatchings dont le fonctionnement étaient essentiellement basé sur les communications téléphoniques et la mémorisation/traçabilité sur le papier. (cf le document ” 1962 Les dispatchings évolution perspectives nouvelles.”
Cette évolution implique « la refonte totale des systèmes de télémesures et de télésignalisations ».
Dès 1962, un groupe de travail commun « les informations codées » entre les Mouvement d’énergie, le Contrôle Électrique, les Télécommunications, l’Exploitation et la Direction des Études et Recherches est créé afin de définir les nouveaux besoins en matière de conduite du système, et ceux, en découlant au niveau de la transmission des informations.
Les besoins du Service des Mouvements d’Energie, en charge de l’exploitation des dispatchings étaient :
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La mise à disposition de télémesure de puissance active, de puissance réactive et de tension sur les réseaux à très haute tension, avec une précision globale garantie de 1 %,
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la transmission de ces mesures avec un délai inférieur à 10 secondes pour les télémesures et les télésignalisations,
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la fourniture des informations à l’arrivée sous forme d’affichage analogique d’une part et sur des mémoires compatibles avec l’entrée en ordinateur d’autre part.
Ils ont été complétés par ceux exprimés par le Service des Télécommunications.
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Disposer de deux voies de transmission avec commutation automatique pour assurer la fiabilité de la transmission,
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La rapidité de modulation devait impérativement être limitée à 50 bauds (50 bits/sec) pour pouvoir utiliser les voies supra-phoniques existantes,
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Une captation et une transmission numériques, avec des codes de contrôle, pour satisfaire aux besoins de continuité et de sécurité des informations demandées,
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La facilité d’adaptation du matériel aux divers ouvrages à contrôler est un critère important. La conception en coffrets fonctionnels est jugée bien adaptée,
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La facilité d’exploitation : interchangeabilité des éléments (provenant de divers constructeurs). Les facilités offertes par des systèmes de connecteurs “normalisés” pour les évolutions ou le dépannage sont jugées essentielles.
La satisfaction des exigences exprimées s’est traduite par :
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l’adoption d’une codification en code binaire des télémesures sur 8 bits,
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une transmission cyclique sur un pas de dix secondes (par le biais d’Émetteurs Récepteurs Cycliques).
Cela a également acté
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l’utilisation de l’électronique pour la transmission des données, ce qui, au vu du contexte de l’époque, était une position résolument tournée vers l’avenir…
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implicitement un système fonctionnant en push (c’est le système au plus près du terrain qui envoie les informations).
Il est à noter, par ailleurs, qu’il s’est agi d’un projet à vocation nationale, où l’ensemble des services concernés a collaboré de façon efficace.
Une analyse du marché fait alors ressortir, dans un marché balbutiant, l’inadaptation de l’offre disponible. Un seul fournisseur avait une offre qui s’approchait des spécifications, mais ce matériel ne convenait pas exactement et l’adopter équivalait à donner un monopole national au constructeur choisi, ce qui était inacceptable tant du point de vue éthique qu’économique. Il fut alors proposé et accepté par la Direction de faire réaliser des équipements sur la base de cahiers de spécifications techniques définis par EDF.
Le projet s’est ensuite déroulé de 1962 à 1967.
Les spécifications techniques
Le groupe de travail se transforma alors en Groupe d’Études : le Groupe d’Étude Informations Codées (GEIC). Les premiers cahiers des charges réalisés furent l’émetteur-récepteur cyclique (ERC), puis le capteur générateur d’impulsions et le compteur comptant-décomptant. C’étaient les éléments fondamentaux de la chaîne de télémesures. Puis vinrent les codeurs et décodeurs pour télésignalisations, les convertisseurs analogique-numérique, et les convertisseurs numérique-analogique pour les affichages analogiques sur enregistreurs dans les salles de dispatchings. Puis quelques autres pour les besoins spécifiques et la maintenance. Cette réalisation fut basée sous le signe de la normalisation, afin de faciliter la circulation des hommes et des matériels entre les différentes entités régionales. Cette normalisation fut une réussite, même si elle fut poussée à l’extrême, les techniciens allant jusqu’à spécifier jusqu’à l’apparence externe des boitiers (gris martelé lisse). C’est dans cette phase que le choix entre semi-conducteur au germanium (moins cher) ou au silicium (résistant mieux à des températures élevées) a été effectué par le groupe. Là encore, le futur a montré la pertinence du choix du projet (puisque le germanium a été abandonné).
Le prototypage (~1963)
Ces spécifications ont été suivies d’une phase de réalisation de prototypes et d’une installation expérimentale pour s’assurer, par la pratique, de la pertinence des choix retenus et les enseignements tirés pour lancer la série. L’intention était de retenir deux constructeurs pour chaque élément de la chaîne d’informations en conservant ainsi un espoir de garder une concurrence commerciale.
Le prototype/tête de série (~1964)
Le poste des Tanneurs à Nantes fut choisi pour l’installation expérimentale. Cette station d’essai démarra en août avec quatre liaisons complètes d’émetteurs récepteurs, 16 capteurs numériques, 60 compteurs, 16 convertisseurs. Des appareils de simulation, de contrôle et d’enregistrement permettaient de surveiller le fonctionnement du matériel.
Lancement de la fabrication des équipements de « série » (~1965)
En 1965, commença fabrication d’équipements de série pour une première tranche d’installation. (La rénovation de tous les dispatchings était prévue sur 5 ans). Les essais de réception ont nécessité un fort investissement des services centraux.
Le déploiement du projet (1966-1971)
Par ailleurs les unités régionales se sont fortement impliquées dans la préparation du déploiement du projet puis dans sa réalisation :
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Formation des agents à des nouveaux matériels et surtout à une technologie encore peu répandue
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Intégration des nouveaux équipements dans les salles Télécommunications rénovées,
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Mises à niveau des voies de transmission et raccordement des armoires d’interface des calculateurs.
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Mise en place de structures de partage pour uniformiser la résolution des problèmes entre les différentes régions.
La fin du projet
En 1966 la station d’essai des tanneurs a été fermée.
En 1967, 1383 équipements réceptionnés ont permis la mise en service opérationnel des dispatchings de Nantes et de Lille. Un premier retour d’expérience a permis de noter que ces mises en route se sont effectuées « sans difficultés », car le matériel répondait « à ce que l’on attend de lui ».
Les autres déploiements se sont échelonnés entre 1968 et 1971.
En 1969, les premiers matériels multifonctions permettant la transmission de télémesures, télésignalisations et télécommandes, ont été mis en services.
Au-delà de la fin du projet lui-même, le déploiement de matériels a continué sur l’ensemble des régions.
Le retour d’expérience mis en place a révélé peu de problème. Le système a fonctionné une quinzaine d’années sans défaillance notable. Puis, comme c’est la règle, l’obsolescence technique a eu raison de ce palier technique.
Le maintien en conditions opérationnelles a été effectué, après les formations ad hoc à l’aide de trois niveaux.
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Intervention sur le terrain par l’équipe TCM du sous-groupe (diagnostic des dysfonctionnements, dépannage de premier niveau (vérifications simples, changements de cartes…). Longtemps après, Jacques Juton, alors jeune technicien, se souvient de ses interventions mais plus particulièrement celles sur l’Emetteur Récepteur Univoie de l’ile longue, (Brest) . En effet, lors de leurs interventions, le personnel du site, n’oubliait de faire fonctionner les dégrilleurs des groupes, ce qui permettait de remonter… des langoustes qui étaient grandement appréciées des intervenants et pas uniquement du fait qu’elles aient des antennes!
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Au niveau de l’équipe dispatching, passage en test des cartes reçues, dans un certain nombre de cas (pannes répétitive et connues, composants ayant visiblement eu un coup de chaud, etc) changements de composants ( Dans ce temps là, on pouvait encore…) et interface avec les fournisseurs.
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Au niveau des fournisseurs, diagnostic et réparation des cartes en avarie.
Conclusions
Au départ « les informations codées » ont été perçues comme une simple amélioration du système existant.
En fait il s’est agi d’une véritable révolution :
Dans un monde en plein bouleversement sociétal et technique, comme nous l’avons vu en début d’article, le projet a su se projeter vers l’avenir et faire des choix judicieux, sans aucune frilosité :
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Opter pour l’électronique, et, accessoirement, choisir le silicium plutôt que le germanium.
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Engager la transition d’un monde analogique vers un monde numérique.
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En se dotant des moyens et méthode pour minimiser les risques technologiques
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En préparant les hommes et les femmes à cette mutation forte des métiers
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Pallier les déficiences des fournisseurs
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Pousser en avant la cohérence nationale dans un monde encore fortement régionalisé
Pour se convaincre des choix judicieux du projet, il suffit de constater qu’en 2014 :
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la majorité des télémesures sont toujours transmises sur huit bits et avec une récurrence de dix secondes,
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l’électronique a pris une place prépondérante dans tous les domaines et que le numérique après les transmissions a conquis d’autres domaines tels le son, la photo, la télévision.
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Par ailleurs, on aura pu remarquer que, bien avant la formalisation des démarches qualité, le projet a été piloté sur les bases actuelles de conduite de projet :
• Expression du besoin résultant d’une confrontation d’un besoin et de possibilités techniques
• Ecriture de spécifications techniques
• Politique industrielle et d’achat
• Sélection sur prototypes des fournisseurs
• Réalisation d’une tête de série
• Appui au déploiement
• Formation.
De plus, la réussite du déploiement des ERC a permis d’installer les premiers calculateurs de dispatchings et de répondre ainsi aux besoins des exploitants face à la forte croissance de la demande en énergie électrique et à la sûreté de l’exploitation du système électrique.